C'est le veau qui bêle

Title

C'est le veau qui bêle

Description

My selfportrait as a calf, but a calf that bleats
Mon autoportrait en veau mais en veau qui bêle

Higlight, Videonale 7, Bonn, Germany, 1996
Prix DRAC Auvergne French Ministery of Culture) Videoformes, Clermont -Ferrand, France, 1997

Television broadcast: Switch 2, Atelier de recherche de la sept arte, arte

Collection:

  • Getty Research Institute, Long Beach Museum of Art Contemporary Video Archive, Los Angeles, California, USA 
  • Le Parvis, Centre d’art contemporain, Tarbes, France

 exhibitions and screenings of "C’est le veau qui bêle":

2015

2010

2006

  • Casablanca International Video Art Festival, Casablanca, Maroc

2005

2004

  • "Corps/Intime" was held at Vidéo.K 01 in Pau, Organized by Le Parvis Centre d'art contemporain in Tarbes, France
  • Autoportraits, organized by La station Arts Electroniques at the University of Rennes, Rennes, France

2003

  • "Videomotion" Museum Africa, Playtime Festival, Newtown, South Africa

2001

  • Carte blanche à PY Clouin, CJC, Paris, France

    1999

    • "Switch 2," presented by Claire Doutriaux and Paul Ouazan, L'Atelier de la Sept ARTE, France-Germany, at Les Instants Vidéo de Manosque, Manosque, France
    • Videoarchaeology / Sofia-Paris Video 1, International Exhibition of Video Art, Sofia, Bulgaria

    1998

    • offline@online, French-Baltic-Nordic Video & New Media Festival, Estonian Academy of Arts, Tallinn, Estonia 
    • All Over the Map, L.A. Freewaves 1998, 6th Celebration of Independent Video and New Media, Museum of Contemporary Art, Los Angeles, California, USA
    • 4èmes Rencontres Arts Electroniques, Université de Rennes 2, Rennes, France 
    • "Independent Exposure: All-Foreign," Blackchair Productions, at Artist's Television Access, San Francisco, California; The Speakeasy Backroom, Seattle, Washington; Knitting Factory Video Lounge, New York City, New York, USA

    1997

    1996



    Shooting Star : étoile filante ou étoile que l’on a filmée, la double traduction amorce le propos de Pierre Yves Clouin qui n’a jamais abandonné cette possibilité de double lecture. Qu’il filme en ses débuts, son corps en « contenu explicite » comme les catalogues qualifient ses œuvres, alors la vidéo s’intitule Cow Boy, en accord avec le plan de bas du corps, jambes écartées, en position de duel, mais la main attouche le sexe. Le corps, nu encore, devient (c’est) le veau qui bêle grâce au cadrage détournant le visage et se jouant des mouvements des membres, de même Workman transforme ce corps humain en être différent… 
    Depuis ce sont les objets, les lieux, les éléments qui sont ainsi détournés pour seul exemple : Rodin des bois entraîne au versant de l’étrange, des troncs devenant chimères. 
    En un nouvel esprit des choses, Clouin sait créer des beautés cachées, dans l’immédiateté de leur rencontre au gré de ses déplacements. Il accepte l’invitation. 
    Du quotidien, il trouve la tension, le moment où l’on se plaît à voir autre chose que ce qui est ; alors il déclenche l’appareil qu’il porte ; léger, il le tient près de son regard curieux cela peut être le téléphone désormais et précisément pour Shooting Star. Curieux, c’est prendre soin/cura en latin. 
    Le film interstitiel s’évade de la reconnaissance quotidienne : ainsi un reflet du portable – allumé incidemment, explique PY Clouin, sur la fonction « lampe de poche » – devient l’étoile filante porteuse de vœu et ici porteuse du film. 
    Les plans se saccadent, se succèdent selon l’itinéraire, les bruits urbains sont plus ou moins précis, la lumière varie ainsi que la couleur allant jusqu’au vert si éloigné de notre imagerie de la ville. En effet de travelling, le halo passe de vitrine à vitre de voiture, à fenêtres et baies d’appartement, de bureaux, de magasins… il glisse sur des grilles variées, des claustras, passe au plein ciel. La petite lumière s’accélère jusqu’au filage, le quotidien « s’expanse », l’autre est à portée de l’œil qui sait voir, il se prête à l’invention de filmer."
    Simone Dompeyre
    Avril 2018
    Rencontres Traverse Vidéo, Toulouse, France



    Resisting Sociopolitical Constructions of the Body " by Sophie Walon in The Oxford Handbook of Screendance Studies Edidited by Douglas Rosenberg, Oxford University Press, 2016
    This chapter examines experimental screendances that disrupt the traditional notion of the body by constructing bizarre corporealities. The chapter analyzes films that display choreo-cinematic experimentations on body representation, such as those of Thierry De Mey, Laurent Goldring, Antonin De Bemels, Wim Vandekeybus, and Pierre Yves Clouin. These films present unconventional bodies that appear in turns animalistic, oversexualized (or differently sexualized), pathological, monstrous, and unidentifiable, undergoing all sorts of transformations and metamorphoses, thus resisting sociocultural, economic, and political processes of standardization of the body. The chapter argues that these screendance bodies are linked to the philosophical and political conceptualizations of the body by Maurice Merleau-Ponty (“openness to the world,” “corporeality”), Michel Foucault (“biopowers,”), and Gilles Deleuze (“body without organs,” “becomings,” “de-hierarchization of the body”). The chapter develops a reflection on screendance bodies, emphasizing that certain screendances also suggest philosophical and political issues that are embedded in their subversive representations of the body.

    Les travaux de ces artistes dévoilent des corps non conventionnels qui apparaissent comme animaux, ouvertement sexualisés, pathologiques, monstrueux ou inidentifiables et subissent toutes sortes de transformations et de métamorphoses…
    … ainsi le contenu de ces films est plus ou moins chorégraphique… Les travaux de Clouin sont plus exactement des vidéos de performances que des films de danse à proprement parler…… Les corps de ces films de danse … peuvent être décodifiés et défamiliarisés (voir les préocupations de Goldring et Clouin quant à la déconstruction des formes et fonctions attendues du corps)...
    … de manière similaire l’autoportrait de Clouin lui même dans “C'est le veau qui bêle”. Par l’imitation du bêlement et le plan en contre plongée qui ne montre que le menton et sa langue, qui apparait régulièrement quand il bêle, la vidéo présente la surprenante image d’une créature hybride à moitié être humain et veau. La confusion est réhaussée par la qualité incertaine de l’image  ainsi que par la basse résolution de la vidéo. Et dans Cowboy, Clouin apparaît à moitié homme et à moitié vache, filmé de derrière à quatre pattes, l’artiste manipule ses testicules et fait bouger stratégiquement ses doigts pour qu’ils ressemblent à des mamelles…
    … Les vidéos expérimentales de Clouin exhibent souvent son corps nu avec une insistance sur ses fesses et ses parties génitales, dans des positions très suggestives et provocatrices. "Kangaroo", qui montre une main qui sort de ce qui ressemble être une paire de fesses, semble sous entendre (dans sa version inversée) la pratique sexuelle du fisting. Dans “Mon Lapin Bleu”, l’artiste simule de façon comique des relations sexuelles avec un lapin bleu en peluche, dans de multiple positions acrobatiques. Dans “The Little Big ” il semble que nous sont montrées des fesses avant qu’il ne devienne clair que ce sont les épaules et omoplates de l’artiste. Pourtant juste au moment où tout contenu sexuel et toute obscenité semblent être alors exclus par cette prise de conscience, Clouin révèle une scène encore plus audacieuse, après nous avoir dévoilé ses épaules et alors qu’il se penche, nous découvrons qu’il est sur un lit, et ses mouvements suggèrent de toute évidence qu’il se masturbe…
    … Dans le "Kangaroo" de Clouin une main émerge de ce qui ressemble à la raie de ses fesses. L’effet est au delà du bizarre, c’est monstrueux: son cul semble donner naissance ou défequer une main. La vidéo de Clouin dérange horriblement les fonctions et emplacements usuels des organes…
    … Jouant sur la difficulté à distinguer les différentes parties du corps, certaines vidéos de Clouin  éloignent notre perception du corps en déjouant nos attentes et en court-circuitant nos certitudes. "Front Room" commence sur Clouin qui lèche une ronde et voluptueuse partie du corps, qui, parce qu’on est très près et du fait de l’avidité manifeste de l’artiste, semble être un sein avant que la caméra ne zoome en révelant le bras de Clouin.
    Dans Workman ” , nous ne sommes pas sûrs de ce que nous voyons, le haut du dos de Clouin, des bras et une tête, ou un cul, le bas du dos et des cuisses. La vidéo joue sur cette incertitude: avant que nous ne voyons ses parties génitales et ses genoux (c’est à dire, avant que nous ne sachions qu’il s’agit du cul de l’artiste à l’écran), l’angle de prise de vue nous laisse penser que nous voyons des épaules et sa tête courbée et cachée. A la fin de la vidéo, quand Clouin utilise une serviette, il semble qu’il s’essuie le cou et les cheveux, ce qui à nouveau jette un doute sur la certitude d’avoir vu son cul. Le flou récurrent de l’image et la position persistante de l’artiste, qui bouge à peine, sont aussi déroutantes, ce qui laisse du temps au public pour projeter ses propres visions et attentes sur ce qu’il voit:
    “Dans “Workman ” nous savons parfaitement que ce sont mes jambes que l’on voit, mais elles agissent comme si elles étaient des bras. aussi par leurs actions, leurs mouvements, elles sont identifiées comme des bras, mais les spectateurs les reconnaissent vraiment comme des jambes. Ce qui est intéressant ici c’est que nous restons très incertains de ce que nous voyons même si toutefois nous en sommes sûrs” (interview non publiée de l'auteur, Mars 2013). De plus, comme la position de Clouin apparaît très peu naturelle pour un être humain et comme il reste dans cette position un long moment, la traditionnelle représentation de la figure humaine comme bipède avec une morphologie clairement organisée vers le haut, en est troublée…
    … Les films de Clouin et Goldring, en particulier, déterritorialisent les organes sexuels et les membres. Par exemple, dans “J'ai des bouches partout”(1999) qu’il traduit par “I’ve got mouths all over”, Clouin fait que son oreille ressemble à une bouche et suggère qu’elle devienne un organe sexuel, capable d’une fellation. C’est une sorte de déteterritorialisation fantastique de ses organes suivant une logique libidinale de réinvention de sa corporalité comme plus sexuée. Il semble trahir un souhait d’avoir plus d’organes sexuels à explorer et un appel à ce que le corps entier mute en une surface érogène étendue.
    Sophie Walon





    Naked Eye
    "'Timidity is not an issue,' says video artist Pierre Yves Clouin. Part exhibitionist, part auteur, Clouin is not afraid to show a little skin in his little videos (none are more than 5 minutes long). And is not afraid to share an opinion either: 'Full frontal nudity is curiously flat.'
    "As both director and star of his growing body of work, Clouin focuses his lens on parts of the male body that don't often make gay top-ten lists, like armpits and shoulders, the small of the back and the top of the head. Clouin works like a video Venus Flytrap, seducing audiences with intimate close-ups of curves and orifices on his own well-sculpted body. Just when you think you recognize what's on screen, the body unfolds and you realize you just got turned on shoulder cleavage (The Little Big, 2000) or by a particularly sexy earlobe (I've Got Mouths All Over, 1999).
    "Earlier this year he screened a tape at the prestigious Sundance Film Festival. This fall he has a few venues lined up including the MIX Festival in Manhattan, where Clouin once premiered The Bleating Calf and caused a sensation with animal rights activists until it was explained that what looked like a lamb about to be slaughtered was actually Clouin himself, naked and moaning.
    "Clouin travels quite a bit these days, leaving his boyfriend at home in Paris. Exquisitely formed and clearly at ease with exposing himself to the critical masses, Clouin has some sexy advice for the body-obsessed among us: 'Accept pleasure whatever it may be and whenever it strikes.'"
    Rajendra Roy

    The Venus Flytrap
    by Rajendra Roy

    The first time I saw Pierre-Yves Clouin’s video work, I remember feeling a little naughty. I was looking at what I thought was a dying calf, weak and vulnerable, and yet it was a scintillating experience. The image was a bit out of focus; just enough to invite imagination, but not so much as to dissuade belief. When my eyes finally focused on what was actually taking place on the screen, and I realized that bare skin and labored moans belonged not to a weak calf, but rather to a wily Frenchman, I was enamored. It is perhaps the naked vulnerability of Clouin’s subject/self that makes his careful mastery of the video trompe l’oeil so beguiling. In each of the minute-or-so long works he produces, the viewer is presented with soft crevices on sculpted male bodies, hush moans and false orifices via voyeuristic electronic glances. In the end, it is always the viewer who is left exposed. Exposed that is, to the invented reality of the recorded image. At once anti-documentarian and a redefining of the visual autobiography, Clouin’s work succeeds precisely because he fully expects us to trust the camera: “Seeing is Believing.” Melding a Venus flytrap’s knack for seduction with a contortionist’s sense of mise-en-scène, Pierre-Yves Clouin is the quintessential video “top.”
    Rajendra Roy
    L’attrape-mouche
    par Rajendra Roy

    La première fois que j’ai vu le travail vidéo de Pierre Yves Clouin, je me souviens de m’être senti un peu coupable. Je regardais ce qui me semblait être un veau en train de mourir, faible et vulnérable, et c’était pourtant une étincelante expérience. L’image était un peu floue ; juste assez pour inviter à l’imagination, mais pas suffisamment pour nous dissuader d’y croire. Quand, finalement, mes yeux se concentrèrent sur ce qu’en fait il y avait à l’écran, et que je réalisais que cette peau dénudée et que ces difficiles gémissements n’étaient pas ceux d'un veau sans défense, mais plutôt d'un astucieux français, j'ai été épris.

    C’est peut-être la vulnérabilité nue du sujet-moi de Clouin qui rend sa soigneuse maîtrise de la vidéo trompe-l’œil si captivante. Dans chacun de ses travaux d’une minute, ou des plus longs, qu’il a produit, le spectateur se trouve devant de douces fentes sur des corps masculins sculptés, de secrets gémissements et de faux orifices via de voyeuristes coups d’œil électroniques. À la fin, c’est toujours le spectateur qui reste mis à nu, exposé en fait à la réalité inventée de l’image enregistrée.
    À la fois anti-documentaire et redéfinition de l’autobiographie visuelle, le travail de Clouin réussit précisément parce qu’il attend entièrement de nous, d’avoir confiance en la caméra : "Voir, c’est croire".
    En fusionnant la stratégie de séduction de l’attrape-mouche de Vénus et un sens contorsionniste de la mise en scène, Clouin est le "top" quintessenciel de la vidéo.
    Rajendra Roy
    Chief curator, Department of Film, Museum of Modern Art;
    Competition Selection Committee, Berlinale Internationale
    Filmfestspiele Berlin; Formerly, programmer, artistic director,
    Hamptons International Film Festival; executive director, MIX
    Gay/Lesbian Film Festival; Film and Media Arts Program Manager,  Solomon R. Guggenheim Museum
    Education: BA, University of California, San Diego
    Co-founder: Rising Stars program
    Publications include: "Making Choices," Moving Pictures; "The New
    'Old' World," IndieWIRE; "Naked Eye: Pierre-Yves Clouin," Empire,
    no. 7; "The Knickian Doctrine: A Metaphor for the Future of the Media
    Arts," MAIN; "The Truth and the Need: Jim Hubbard as Curator" in
    Jim Hubbard, Filmmaker, exh. cat. Brooklyn: Dumba Arts Center;
    "Films and Videos for a Synthetic Society" with Anie Stanley, in Next
    Sex; "L'Attrape Mouche (Venus Flytrap)" in Turbulences Video #29.


    Extra Ordinary Men
    Pierre Yves Clouin est un vidéaste excentrique et curieux, et probablement le premier vidéaste avec lequel j’ai travaillé, autour de 1995. Je l’ai rencontré pour la première fois en personne à Paris, sa ville, il y a une dizaine d’années, alors que j’effectuais des recherches à titre de commissaire; il m’a montré un aspect de la ville que peu de jeunes commissaires ont la chance de voir et d’expérimenter. J’y ai été confronté à plein de nouvelles idées et je me suis posé des questions sur mon compte. Son travail m’a éclairé comme je n’avais jamais imaginé que des videos lo-fi, à petit budget, pouvaient le faire. 
    Clouin vivait en périphérie de Paris dans une cité conçue par Le Corbusier et habitée par des artistes. Nous nous y sommes rendus à pied; c’était assez loin, à partir du Marais jusqu’à la Seine du côté de la bibliothèque Mitterrand, et nous nous sommes arrêtés dans une zone de drague gaie tellement extravagante que Paris a commencé à me sembler irréelle, comme dans un film. Si vous demandiez à des cinéastes hétéros d’essayer d’imaginer à quoi ressemblerait une scène de drague gaie, probablement qu’ils en arriveraient exactement à ce que j’ai vu. Cette réalité était exagérée: j’ai compris sur le champ que je me trouvais, en fait dans cet espace extrêmement chargé et sexualisé qui, depuis toujours, fascine Clouin.
    Nous avons traversé un passage souterrain qui est vite devenu très sombre, même si nous étions au beau milieu du jour. On pouvait voir des figures en mouvement, des silhouettes qui se profilaient devant la petite entrée à l’autre bout d’où émanait un peu de lumière. Je lui ai dit que j’avais peur, et il a ri. En connaissance de cause, il m’a dit: « Attends de voir l’autre côté.» Là, des hommes, soi-disant vêtus comme des ouvriers de la construction, étaient assis à califourchon sur des machines gigantesques, les scrotums sortant de leurs jeans par des échancrures comme de la cire fondue, et ils s’adonnaient frénétiquement à des activités sexuelles orales et anales. Dans plusieurs de ses dernières  œuvres, Clouin explore cet espace précaire où cohabitent public et privé.
    Je me suis confronté à une pruderie à l’intérieur de moi même dont j’ignorais l’existence. Pendant des années, j’avais pensé m’être affranchi tout simplement en proclamant «je suis gai »; je ne savais pas alors à quel point la vision que j’avais de ma propre sexualité était expurgée et passait par un filtre hétérosexuel et culturel. L’actrice rebelle Marlène Dietrich affirmait : «Le sexe. En amérique, une obsession. Dans d’autres parties du monde, un fait.» On ne peut s’empêcher de penser qu’elle évoquait Paris, où elle a passé les dernières années de sa vie. Empreinte de sexualité et d’humour, l’œuvre de Clouin nous montre une facette de la vie gaie qui, sans être nécessairement flatteuse est touchante et qui, tout en étant crue, est spectaculairement sublime.
    Examiner la teneur philosophique des travaux de Clouin sans renvoyer à Michel Foucault équivaudrait à occulter le cœur même de sa pratique. Le corpus de ses vidéos est constitué de moments vécus ou documents intimes d’un être en relation avec d’autres, captés par le petit œil de sa caméra portable. En 1982, Foucault aurait pu parler du travail de Clouin lorsqu’il déclarait en entrevue: « La sexualité fait partie de nos comportements. elle fait partie de notre liberté mondiale. La sexualité est quelque chose que nous inventons nous-mêmes. Elle est notre propre création, et elle est beaucoup plus que la découverte d’une face cachée de notre désir. Nous devons comprendre que nos désirs s’accompagnent de nouvelles formes de relation, de nouvelles formes d’amour, de nouvelles formes de création. Le sexe n’est pas une fatalité; c’est un potentiel de vie crétive. Il ne suffit pas d’affirmer que nous sommes gais; nous devons également créer une existence gaie1.»
    Ethnographie homosexuelle destinée à la consommation populaire, l’œuvre vidéo de Clouin révèle la matière extraordinaire dont est faite la culture gaie contemporaine. Le jeu qui consiste à montrer et à cacher est très significatif, et il me rappelle le paradoxe de la vie gaie: vouloir la visibilité et la liberté, tout en cherchant l’invisibilité par peur de la violence et de l’humiliation. Bien que le voyeur, en général, n’entre pas en contact ou n‘échange pas directement avec le sujet de son observation, plusieurs critiques et programmeurs réfèrent souvent au côté voyeur du travail de Clouin. 
    J’établirais plutôt des parallèles avec la photographie secrète, apparue à la fin du XIXe siècle avec l’avènement de l’appareil photo d’espion et depuis popularisée grâce à la miniaturisation des dispositifs d’enregistrement d’images. Et bien que la France ait maintenant adopté des lois très strictes interdisant la publication de toute photographie sans le consentement exprès du sujet, Clouin accepte l’illégalité de ce qu’il produit et accomplit dans la sphère publique. Bien sûr, sa démarche n’est pas nouvelle et elle nous rappelle la technique de Paul Strand : « Strand partait pour le district Five Points, le cœur des taudis d’immigrants dans le Lower East Side, avec son appareil photo équipé d’un faux objectif pour détourner l’attention. Strand s’approchait d’un sujet potentiel, faisait un tour de 90 degrés sur lui-même et pointait le faux objectif dans cette direction. Le vrai objectif, situé au bout d’un soufflet, émergeait de son aisselle et visait le sujet désiré2.»
    Clouin nous fait voir son monde sous un jour remarquable de réalité et de proximité, comblant ainsi la séparation entre écran et spectateur. Nous regardons en quelque sorte à travers l’objectif de sa caméra, comme si celle-ci était entre nos propres mains. Même lorsqu’il la retourne vers lui-même, dans le cadre intime de son studio, nous avons encore l’impression de manipuler la caméra, découvrant son corps gai, étrange et ce sans la sensation désagréable de fouiner dans sa vie privée. Parfois narrées, les œuvres prennent alors le ton d’un journal intime tout en ayant une échelle cartographique: nous vivons ces moments en compagnie de Clouin, au fil de ses errances dans les rues de Paris et du monde, jamais tout à fait flâneur, jamais tout à fait voyeur.
    Sura Wood, journaliste à Hollywood, dit de son travail qu’il « (séduit) le public avec ses gros plans intimes de courbes et d’orifices de son propre corps bien modelé. Au moment où l’on pense reconnaître ce qui apparaît à l’écran, le corps se déplie et on réalise avoir été excité par le creux d’une épaule ou un lobe d’oreille particulierement sexy3». avec une économie de moyens, Clouin est capable de se montrer, de montrer son corps et ceux d’autres hommes sous un éclairage extraordinaire. 
    La mise en lumière de la vie homosexuelle ordinaire et d’une masculinité tangible est un antidote nécessaire aux images stéréotypées, exagérées, d’homosexuels que véhiculent constamment les médias. Clouin offre des images de la sexualité masculine gaie crûment honnêtes et qui baignent dans une lumière régénératrice et libératrice. Je remercie Pierre Yves Clouin de m’avoir montré que mon identité est résolument gaie et que ma vie, dans tout ce qu’elle a d’ordinaire, demeure toujours fascinante.Stefan St-Laurent, commissaire

    Traduit de l’anglais par Colette Tougas

    Notes

    1. Bob Gallager et Alexander Wilson, « Michel Foucault. An Interview: Sex, Power and the Politics of Identity», Advocate (7 août 1984).(Notre traduction.)
    2. Department of Photographs, «Paul Strand (1890 - 1976) «, Heilbrunn Timeline of Art History, New York, The Metropolitan Museum of Art, 2000-, http://metmuseum.org/toah/hd/pstd/hd_pstd.htm (visité le 20 octobre 2010).(Notre traduction.
    3. Sura Wood, «Exploring the Offbeat World of Experimental Film» San Francisco Arts Monthly, avril 2005. (Notre traduction.)

     Artiste multidisciplinaire et commissaire, Stefan St-Laurent est né à Moncton au Nouveau-Brunswick en 1974. Il est détenteur d’un baccalauréat en arts médiatiques de l’université Ryerson de Toronto. Son travail performatif et vidéographique a été présenté dans de nombreuses galeries et institutions muséales au Canada (YYZ - Toronto, La Galerie d’art d’Ottawa, Western Front - Vancouver, Art Gallery of Nova Scotia - Halifax) et en Europe ( Centre national de la photographie de Paris - France, Centre d’art contemporain de Basse-Normandie, Edsvik Konst och Kultr - Suède). En 2008, il était invité de la Biennale d’art perfomatif de Rouyn-Noranda. Il a également été invité comme commissaire du Symposium international d’art contemporain de Baie-Saint-Paul de 2010 et 2011. Il agit présentement à titre de commissaire de la Galerie SAW Gallery d’Ottawa.

    Extra Ordinary Men 

    Pierre Yves Clouin is an eccentric and transgressively curious video artist from Paris, and possibly the first video artist I worked with in my life, circa 1995. I met him in person for the first time about a decade ago in his hometown while doing curatorial research, and he showed me a side of this city few budding curators get to see and experience. I was confronted with a slew of new ideas, and even self-questioning. His work iluminated me in ways I didn’t think lo-fi, low budget video could.
    Clouin lived on the outskirts of Paris in a Le Corbusier - designed artists’ housing project. We walked there, quite far, from the Marais district to the Seine river on the Mitterand library side, stopping at a gay cruising area that was so over-the-top, Paris started to look unreal, like in the movies. If you asked a group of straight filmmakers to try to imagine what a gay cruising scene would look like, they would probably imagine exactly what I saw. It was an exaggerated reality: I realized right then and there that I was actually in that hyper-charged, sexualized space Clouin has been eternally fascinated with.
    In broad daylight, we walked through an underpass that became extremely dark. Moving figures could be seen briefly as silhouettes from the small door at the other end which emitted a little bit of light. I told him I was scared, and he just laughed. He knowingly said to me, «Wait until you see the other side.» There, men theoretically dressed as construction workers sat spread-eagle on colossal machines, scrotums oozing out of jeans holes like melting candles, with everyone eventually engaging in frenetic outdoor oral and anal sex. Many of Clouin’s later works indulge in this tenuous space where the public and the private cohabit.
    I was confronted with a prudeness inside me I didn’t know was there. For years, I thought I had gained my freedom by only having pronounced the words «I’m gay,» obivious back then to how heterosexualized or culturally sanitized my view was of my own sexuality. Renegade actor Marlene Dietrich proclaimed, «Sex. In America an obsession. In other parts of the world a fact», and one can’t help but imagine she was speaking latterly of Paris, where she spent the final years of her life. Drenched in sexuality and humour, Clouin œuvre shows us a facet of queer life that may be unflattering but still endearing, raw but spectacularly sublime.
    Examining Clouin’s philosophical side without referencing Michel Foucault would overlook what is at the heart of his practice. The corpus of his video are lived moments, or intimate recordings of the self in relation with others, captured by the tiny eye of a hand-held video camera. In a interview in 1982, Foucault could have been speaking of Clouin’s work: «Sexuality is a part of our behaviour. It’s part of our world freedom. Sexuality is something that we ourselves create. It is our own creation, and much more than the dicovery of a secret side of our desire. We have to understand that with our desires go new forms of relationships, new forms of love, new forms of creation. Sex is not a fatality; it’s a possibility for creative life. It’s not enough to affirm that we are gay but we also create a gay life.»
    A queer ethnography for popular consumption, his video work reveals the extraordinary and ordinary stuff found in contemporary queer culture. The game of hiding and revealing is quite significant, and reminds me of the paradox of gay life: seeking visibility and freedom all the while seeking invisibility for fear of violence and humiliation. While a voyeur does not typically relate or directly exchange with the subject he or she is observing, many critics and programmers refer often to the voyeuristic nature of Clouin’s work.
    I would rather make comparisons with secret photography, introduced in the late 1800s with the advent of spy cameras and popularized ever since by miniaturization of image-recording devices. And although France has now adopted quite strict laws prohibiting the publication of any photograph of a person without their express consent, Clouin embraces the lawlessness of what he is making and doing in the public sphere. His approach is certainly not new, and reminds us of Paul Strand’s technique: «Strand set out for Five Points, the heart of the immigrant slums on the Lower East Side, with his camera rigged with a false lens to distract attention. Approaching a potential subject, Strand turned ninety degrees away and aimed the false lens in the direction he was facing. The real lens, on an extended bellows, stuck out under his arm toward the person.»2
    Clouin shows us his world with spectacular realness and proximity, closing the divide between screen and viewer. We are somewhat looking through Clouin’s camera lens, as if we were holding the camera ourselves. Even when he turns the camera onto himself, in the intimate setting of the studio, we feel like we are manipulating the camera once again, discovering his strange, queer body without that nagging feeling of snooping into his private life. Sometimes narrated, the works become diaristic in tone, and cartographic in scale - we are living the moments with Clouin, as he wanders the streets of Paris and the world, never quite flâneur, never quite a voyeur.
    Holywood reporter Sura Wood states that his work «(seduces) audiences with intimate close-ups of curves and orifices on his own well-sculpted body. Just when you think you recognize what’s on-screen, the body unfolds and you realize you just got turned on by shoulder cleavage or by a particularly sexy earlobe.»3 With an economy of means, Clouin is able to show himself, his body, and the bodies of other men, in an extraordinary light.
    This illumination of ordinary queer life, of tangible masculinity, is a necessary antidote to the stereotypical, exaggerated images of homosexuals we constantly encounter in the media. He portrays an image of queer male sexuality that is brutally honest, and basked in a light that is regenerating and liberating. I thank Pierre Yves Clouin for showing me that my identity is determinately queer, and that my life, in all its ordinariness, is somehow fascinating still. 
    - Stefan St-Laurent, Curator

    Notes

    1. Bob Gallager et Alexander Wilson, « Michel Foucault. An Interview: Sex, Power and the Politics of Identity», Advocate, August 7, 1984.
    2. Department of Photographs, «Paul Strand (1890 - 1976), « in Heilbrunn Timeline of Art History, New York, The Metropolitan Museum of Art, 2000-, http://metmuseum.org/toah/hd/pstd/hd_pstd.htm (accessed October 20, 2010)
    3. Sura Wood, «Exploring the Offbeat World of Experimental Film» San Francisco Arts Monthly, April 2005.

     Stefan St-Laurent, a multidisciplinaryartist and curator, was born in Moncton, New Brunswick, in 1974. He holds a Bachelor of Media Arts from Ryerson University in Toronto. His performative and video works have shown extensively in Canada and Europe, including at YYZ in Toronto, the Ottawa Art Gallery in Ottawa, Western Front  in Vancouver, the Art Gallery of Nova Scotia in Halifax, the Centre national de la photographie in Paris and  Edsvik Konst och Kultur in Sweden. In 2008, he was the guest curator of the Biennale d’art perfomatif de Rouyn-Noranda. He was also invited to serve as the guest curator of Baie-Saint-Paul’s International Symposium of Contemporary Art in 2010 and 2011. He is currently Curator of Galerie SAW Gallery in Ottawa.



    Inrockuptibles
    Art critic Nicolas Thély publishes a review of Switch 2, arte 1999
    Pierre-Yves Clouin enregistre dans son intégralité une action souvent vaine (comme se déplacer à quatre pattes) mais qui intrigue par ses effets d'oprique . Le jeune vidéaste se joue du temps de la télévision, du temps segmenté par la publicité, formaté par la grille des programmes où rien n'est gratuit.



    Les nuits de la pleine lune
    Switch 2
    Films expérimentaux, films abstraits, art vidéo et performances surgissent sur les écrans d'ARTE chaque nuit de pleine lune. Douce dérision, grain de folie et accès d'humeur s'immiscent dans cette troisième Nuit. Une nuit proposée par Claire Doutriaux et Paul Ouazan
    LA SEPT ARTE
    Une année des treize lunes
    ARTE fête les treize pleines lunes de 1999 avec l3 programmations spéciales. Chaque Nuit sera produite par un des partenaires d'ARTE (Allemagne, France, Belgique, Espagne...). Elle donnera libre cours à des programmes inédits :courts métrages, surprises, films expérimentaux, auto.tictions, zapping... Expérimentez !
    Une fois par mois, Switch privilégie I'univers singulier d'un réalisateur ou d'un artiste. Après leur première Nuit, Claire Doutriaux et Paul Ouazan nous proposent ce soir d'explorer le travail unique du vidéaste américain Nelson Sullivan. Figure connue du milieu underground new-yorkais, celui-ci nous guide dans les rues d'un New York inconnu avec humour et autodérision.
    On verra aussi les æuvres de Jean-Pierre Mocik, Pierre-Yves Clouin, Marie-Ange Guilleminot, William Wegman et la nuit se terminera en beauté avec le film culte de Jack Smith, Flaming Creatures.
    Pierre-Yves Clouin
    Ce jeune vidéaste français a fait de son corps un lieu d'exploration privilégié. Cadrages, décadrages et jeux de perspectives confèrent à ces petites ceuvres un caractère extrêmement déroutant

     

     

     

    Date

    1995-01-15

    Rights

    © Pierre Yves Clouin

    Type

    MovingImage

    Coverage

    Paris

    Original Format

    vhs

    Duration

    00:01:15

    Director

    Pierre Yves Clouin

    Files

    Collection

    Tags

    Citation

    “C'est le veau qui bêle,” Pierre Yves Clouin, accessed April 24, 2024, http://pierreyvesclouin.fr/items/show/107.